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Épisode 11 - Des paiements plus rapides, et que ça saute!

Les attentes de rapidité dans le secteur des paiements sont grandes depuis quelques mois. Les consommateurs veulent que leur argent bouge à la seconde où ils appuient sur le bouton « Confirmer ». Quant aux commerçants, plus vite ils sont payés, plus vite ils peuvent verser des salaires et acquitter leurs factures et dépenses. Parallèlement, chaque acteur du processus cherche à réduire les risques de fraude inhérents à sa plateforme de paiements. L’animatrice de PayPod, Cyrielle Chiron, s’entretient avec Brad Pragnell, directeur de 34 South 45 North, et avec le « paiementologue » Lance Homer. Ensemble, ils regarderont comment l’écosystème canadien des paiements s’est adapté à une demande accrue en matière de paiements en temps réel et parleront du rôle que jouera l’innovation en infrastructure dans l’évolution des paiements au Canada.

Façons d’écouter les balados :

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Invités :

Brad Pragnell, Ph. D., directeur de 34 South 45 North et analyste-conseil pour Paiements Canada
Lance Homer, chef mondial des paiements en ligne et de l’écosystème bancaire à Equinix

Écouter l’épisode

Transcription du podcast

Cyrielle Chiron :
Ces dernières années, et tout récemment dans la foulée de la crise de la COVID-19, la question des méthodes avec lesquelles les consommateurs et les entreprises veulent verser et recevoir des paiements a fait les manchettes partout dans le monde. Depuis le début de la pandémie, selon notre étude, 60 % des Canadiens utilisent moins d’argent comptant et 40 % évitent les commerces qui n’acceptent pas le paiement sans contact. Les paiements traditionnels sont en déclin, et le comptant se fait rapidement éclipser : quelles conséquences ces tendances auront-elles pour l’écosystème des paiements? Quelle est la réaction de l’industrie des paiements, et comment pourra-t-elle répondre à la demande croissante des utilisateurs, qui veulent des méthodes de paiements plus pratiques, rapides et sécuritaires? Je m’appelle Cyrielle Chiron, et j’anime la deuxième saison de PayPod, un balado qui aborde sous tous ses angles l’ambitieuse mission de modernisation des paiements du Canada et explore les thèmes façonnant le monde des paiements au pays et dans le monde.

Cyrielle Chiron :
C’est un grand plaisir pour moi de mener la discussion d’aujourd’hui sur les mutations du monde des paiements. En tant que chef de la recherche de Paiements Canada, j’ai un accès privilégié et rapide aux données qui montrent la croissance rapide des méthodes de paiements et de leur adoption. De plus, en tant qu’employée de Paiements Canada, j’ai l’occasion de jouer un rôle dans l’initiative de modernisation des paiements du Canada, dont la composante centrale est la mise en place d’un système de paiements en temps réel, le premier du genre au pays. Ce système fonctionnant de façon permanente sera en mesure de transférer des fonds entre les banques émettrice et réceptrice dans les 60 secondes en tout temps. Ainsi, les Canadiens peuvent s’attendre à ce que cette plateforme ouvre la porte aux innovations, ce qui correspond aux désirs et aux attentes des consommateurs et des entreprises. Aujourd’hui, je m’entretiens avec Brad Pragnell, directeur de 34 South 45 North, un cabinet de conseil collaborant avec Paiements Canada dans la cadre de son programme de modernisation.

Cyrielle Chiron :
Brad travaille dans l’industrie des services financiers depuis près de 25 ans, occupant des fonctions de direction et générant des résultats concrets pour les organismes membres, les intervenants et les organismes de réglementation. Il a été cadre supérieur au sein de CPA Australia, de l’Association of Superannuation Funds of Australia, de l’Australian Payments Clearing Association – maintenant appelée AusPayNet –, et bien sûr de Paiements Canada, où il agit comme consultant pour notre programme de modernisation des paiements. Brad s’exprime aujourd’hui en son propre nom, et non comme représentant de ses clients.

Cyrielle Chiron :
Nous recevons également Lance Homer, chef mondial de la stratégie des paiements électroniques à Equinix. Fort de près de 12 ans d’expérience à Équinix, Lance dirige une équipe mondiale de développement des affaires qui travaille à tirer parti de nouvelles perspectives stratégiques liées aux paiements numériques et à l’écosystème des services bancaires aux particuliers. Sa vaste connaissance des paiements et des entreprises de technologie financière a fait de lui un « paiementologue » réputé et hautement compétent. Merci à vous deux de vous joindre à moi pour cette édition du PayPod.

Brad Pragnell :
Merci, Cyri.

Lance Homer :
Merci beaucoup de nous recevoir aujourd’hui.

Cyrielle Chiron :
Je suis très heureuse de pouvoir aborder ces sujets avec vous deux. Dans le secteur, tout le monde parle des paiements en temps réel, un des sujets les plus chauds du moment, que nous aborderons en détail dans notre discussion. Mais d’abord, nous savons que, comme je l’ai mentionné en introduction, les Canadiens sont la principale force derrière la transformation des paiements et que leurs besoins et attentes évoluent rapidement. Que pensez-vous de ce phénomène? Et la grande question serait : s’agit-il d’une tendance mondiale?

Brad Pragnell :
Merci, Cyri. Ce qu’on voit, et plus particulièrement dans le contexte de la COVID-19, c’est une accélération dans l’adoption des paiements numériques et électroniques, et un déclin dans l’utilisation des chèques et du comptant. Ces tendances sont assez répandues dans le monde, et il est clair que la crise de la COVID-19 a un effet de catalyseur. Les Canadiens se sont montrés exemplaires dans l’adoption de nouvelles méthodes de paiements. D’ailleurs, ces dernières années, le mouvement vers le paiement sans contact au pays a été très impressionnant par rapport à ce qu’on observe dans le reste du monde. Les Canadiens sont assurément capables de s’adapter, et d’autres changements sont bien sûr à venir.

Cyrielle Chiron :
Excellent. De votre côté, Lance, notez-vous d’autres tendances?

Lance Homer :
C‘est une excellente question. J’observe la situation des États-Unis, votre voisin au sud, et je trouve que sur beaucoup d’aspects, le Canada est en avance en matière de paiements. Bien sûr, dans les deux pays on utilise encore des chèques et des reçus papier, mais aux États-Unis, on commence à peine à utiliser les cartes à puce. Je n’ai aucune carte de paiement sans contact, comme la plupart des Américains d’ailleurs.

Cyrielle Chiron :
Ça s’en vient.

Lance Homer :
Oui, ça s’en vient. Mais la question ici est la cadence des innovations. Si je soulève ce point, c’est que oui, les choses vont plus vite, mais il reste encore énormément de place à l’innovation. Je crois que ça se matérialisera avec les paiements en temps réel, et aussi avec l’intégration innovatrice et plus poussée des paiements dans les nouveaux modèles d’affaires.

Cyrielle Chiron :
Oui, très bon point. Il reste effectivement des occasions d’innover. De façon générale, voyez-vous les mêmes tendances chez les consommateurs et les entreprises, ou y a-t-il une croissance plus rapide d’un côté?

Brad Pragnell :
Une des choses qu’il faut savoir en ce qui concerne les segments et l’accélération des systèmes de paiements, c’est que ces outils ont été conçus à l’origine pour l’utilisation personnelle, les paiements de personne à personne. Mais de plus en plus, les gens explorent des façons d’utiliser ces systèmes dans d’autres contextes, comme les paiements gouvernementaux ou d’entreprises. À mesure que ces changements se concrétiseront, on verra une intensification de la recherche de nouveaux domaines d’application, de possibilités et de lacunes à combler avec ces innovations. C’est là l’aspect qu’on devra vraiment surveiller de près. Et comme je l’ai dit, la crise de la COVID-19 a un effet de catalyseur sur les segments de l’industrie et les fournisseurs de services de paiement : elle les incite à réfléchir à leur prestation de biens et de services, aux modes de paiement qu’ils acceptent et à leur gestion des données. Sans aucun doute.

Cyrielle Chiron :
Oui, en effet. La situation actuelle a vraiment accru la nécessité de penser innovation. Je suis bien d’accord. Pour continuer avec vous, Brad, vous avez participé à l’élaboration de la feuille de route de la modernisation des paiements au Canada, dans la foulée des consultations qui ont mené à la publication du document sur notre vision de l’écosystème des paiements canadien. Ceux qui veulent consulter ce document pour en savoir plus ou se rafraîchir la mémoire peuvent d’ailleurs le trouver sur notre site Web. L’initiative de modernisation de Paiements Canada prévoit entre autres l’implantation d’un système de paiements en temps réel, et comme vous l’avez mentionné tous les deux, ce type de paiement est à l’ordre du jour. En quoi ce système pourra-t-il aider à répondre à la demande des utilisateurs, qui veulent des paiements plus rapides et pratiques?

Brad Pragnell :
Très bonne question, Cyri. L’initiative de Paiements en temps réel sur laquelle travaille Paiements Canada et la perspective adoptée dans la vision et la feuille de route visent avant tout à combler plusieurs besoins précis et pressants. En fait, ce n’est pas seulement une question de rapidité – bien qu’elle semble aller de soi maintenant –, mais aussi d’autres aspects comme les données. La norme ISO 20022 et l’enrichissement des données sont donc des volets importants dans les objectifs d’un nouveau système comme le PTR. Il s’agit de répondre à la demande accrue en matière de données et de fiabilité, entre autres.

Brad Pragnell :
Ce qui est certain, c’est que ce nouveau système entraînera certaines conséquences. Le Canada fait partie d’un mouvement mondial. De nombreux systèmes du genre ont déjà été déployés ou le sont actuellement, et il arrivera un moment où un système de paiements en temps réel ne sera qu’une composante de l’offre globale en la matière. Ce n’est plus tant un avantage optionnel qu’une composante essentielle pour tout système de paiement.

Cyrielle Chiron :
Une composante essentielle, en effet. C’est un bon point. Je sais que vous avez travaillé sur beaucoup de projets de paiements en temps réel dans le monde. Combien de pays sont maintenant dotés d’un système du genre aujourd’hui, et quelles leçons pourrions-nous tirer de leur expérience? Est-ce qu’un exemple donné pourrait illustrer les avantages que procurera le système en temps réel aux Canadiens?

Brad Pragnell :
Il y a vraiment beaucoup de systèmes en place aujourd’hui. Je ne me souviens plus du nombre. Lance, probablement autour de 70 ou 80, selon le plus récent décompte? Est-ce une bonne estimation?

Lance Homer :
Le rapport Flavors of Fast de 2019, publié par FIS, en recense 54. Mais on en compte certainement quelques-uns de plus depuis, alors je dirais dans les 60 à 70.

Cyrielle Chiron :
Donc, quand même beaucoup, n’est-ce pas?

Brad Pragnell :
Oui. Assurément, le nombre de déploiements commence à être considérable. On peut voir aussi que les systèmes partagent des caractéristiques de conception. De plus en plus, on privilégie la norme ISO 20022 sur les messages de paiement. Un accent réel sur le transfert unique de crédit est le principal moyen d’offrir cela. L’accès et l’utilisation des API sont des aspects très importants, tout comme l’offre de fonctionnalités pouvant générer une valeur maximale pour l’écosystème. Voilà le genre de caractéristiques sélectionnées pour les systèmes déployés. Mais oui, c’est surprenant. Il y a 10 ans, on voyait cela comme une sorte d’expérience étrange menée en Australie et au Royaume-Uni, alors que maintenant, c’est un phénomène mondial. C’est très excitant d’assister à cela. En ce qui concerne les possibilités offertes par ces systèmes, le meilleur reste à venir.

Cyrielle Chiron :
Oui, je suis bien d’accord. Lance, auriez-vous quelque chose à ajouter, peut-être un exemple tiré de votre expérience?

Lance Homer :
Oui. Pour ceux qui ne connaissent pas Equinix, nous sommes une entreprise de colocalisation qui exploite des centres de données partout dans le monde, notamment dans une quinzaine de pays qui offrent actuellement le paiement en temps réel. De plus, sept exploitants de systèmes de paiements nationaux utilisent nos installations. Nous sommes donc témoins de la conception de ces systèmes et avons l’occasion de travailler avec certains des principaux fournisseurs dans ces pays.

Lance Homer :
Ce qu’on observe, c’est que lorsque les exploitants de systèmes de paiements nationaux décident de bâtir un système en temps réel, la construction d’un écosystème connexe qui favorisera l’innovation devient de plus en plus importante. Comme Brad l’a mentionné, la rapidité des paiements sera une caractéristique de base et une exigence. Je pense que l’avenir tournera plutôt autour des données, les données superposées étant la grande tendance. Le moteur de cette tendance ne sera pas l’exploitant du système de paiements national lui-même, mais bien toutes les entreprises de technologies financières qui graviteront autour. Donc, la capacité de créer des liens et de construire un vaste écosystème sera d’une importance cruciale pour chacun des pays concernés.

Brad Pragnell :
Si vous permettez Cyri, j’aimerais renchérir sur les propos de Lance. La conception des systèmes révèle un penchant net pour l’approche par couches. On crée au niveau de l’infrastructure une fonction pour assurer une circulation de base, mais on se rend aussi compte que dans les couches supérieures, il faut offrir aux participants, aux entreprises de technologie financière et aux autres acteurs des possibilités d’innover. D’une certaine façon, un système de paiements en temps réel efficace et bien conçu devient une boîte à outils, un ensemble de fonctionnalités de base qui permettront à d’autres de concrétiser différentes utilisations. Au départ, on ne connaît pas précisément ces utilisations, on en a seulement une idée, le but étant que le système saura outiller d’autres acteurs et les encourager à les concrétiser dans l’avenir. C’est vraiment un aspect essentiel de la conception des systèmes aujourd’hui, pour arriver à créer un écosystème à l’image de ce que Lance vient de décrire.

Lance Homer :
J’ai pu regarder la feuille de route concernant le système de paiements en temps réel du Canada. C’est du beau travail, car on n’essaie pas seulement d’encourager l’innovation et de construire un écosystème national, mais on se prépare aussi à se mesurer à la concurrence mondiale. Selon moi, à l’avenir, l’adoption généralisée de la norme d’interconnexion ISO 20022 pour les systèmes en temps réel facilitera les transferts de fonds d’un pays à l’autre, qui ne sont pas aisés, même encore aujourd’hui. Les systèmes en temps réel simplifieront grandement les choses une fois que tout le monde appliquera la même norme. Et encore ici, cela concerne l’écosystème et les services gravitant autour. Avec cette initiative, le Canada sera bien positionné pour être concurrentiel à l’échelle mondiale.

Cyrielle Chiron :
Excellent, c’est bien d’entendre que nous sommes en bonne position pour affronter la concurrence mondiale. C’est une bonne chose. Beaucoup d’efforts ont été déployés ces dernières années, alors c’est rassurant de savoir que nous sommes sur la bonne voie. Jusqu’ici, nous avons abordé quelques sujets comme la présence d’autres acteurs et aussi l’infrastructure. Concernant cette dernière, j’aimerais revenir à l’innovation dans les paiements et avoir votre avis, Lance, sur le type d’avancée nécessaire – qu’il s’agisse d’infrastructure ou d’autres choses – pour suivre l’évolution de la demande et de tous les aspects dont nous avons discuté.

Lance Homer :
Bien sûr. Il est impossible de parler d’infrastructure sans parler d’infonuagique, une technologie qui a certainement accéléré l’élaboration d’applications. Mais souvent, elle n’arrive pas à résoudre les problèmes de vitesse d’interconnexion au sein de la chaîne d’approvisionnement numérique. Brad a évoqué les liens dans les différentes parties de l’écosystème, ou la tuyauterie. Les API facilitent la connexion pour les applications, mais le monde des paiements repose sur des réseaux privés reliant les participants, et ce, pour des raisons à la fois de sécurité, de rapidité et de fiabilité. Sur le plan de l’infrastructure, ce que nous voyons à Equinix, c’est le déploiement de plateformes de paiements par les banques et les entreprises de technologie financière dans nos installations. Ces outils constituent précisément l’infrastructure dont ces entités ont besoin pour faire le lien avec les systèmes de même qu’avec leurs clients, partenaires et fournisseurs de services infonuagiques, pour ainsi s’intégrer à un écosystème.

Lance Homer :
Elles sont alors capables d’interagir facilement avec leurs partenaires et de trouver une solution à ce long [inaudible 00:15:30] qu’est l’interconnexion à la chaîne d’approvisionnement numérique. Cela devient donc un modèle : si vous voulez vous déployer au Canada, il existe un modèle avec plateforme de paiements. Si vous visez ensuite un marché où les exigences en matière de souveraineté des données sont complexes, comme Jakarta, en Indonésie, vous pouvez utiliser ce même modèle. On note donc une tendance non seulement à vouloir vite déployer un code, mais aussi à trouver des façons de créer rapidement des liens dans la chaîne d’approvisionnement numérique au moyen des écosystèmes.

Cyrielle Chiron :
Vous soulevez un bon point. Comment procéder lorsqu’on est une organisation d’envergure internationale? Comment créer des liens dans les différents pays?

Lance Homer :
Des entreprises déploient leur réseau étendu dans des marchés d’importance, qui sont habituellement bien pourvus en services d’infonuagique et où l’on trouve des écosystèmes gravitant autour d’AWS, d’Azure, de Google, d’IBM et d’Oracle. Elles construisent un réseau de base, parfois en recourant à une entreprise de télécommunications, mais parfois aussi en utilisant un réseau défini par logiciel comme celui offert par Equinix, avec Equinix Cloud Exchange Fabric. Ces entreprises peuvent alors facilement ajouter les marchés où elles font des affaires et se mondialiser rapidement.

Cyrielle Chiron :
Très bien. Il est donc question de vitesse, mais aussi du fait que c’est en temps réel. La vitesse n’est pas tout, il y a aussi les données dont on dispose, la transparence et les capacités d’interrelation avec les autres acteurs qui font du système une boîte à outils. Il s’agit aussi d’améliorer les solutions pour les consommateurs et les entreprises. Toutefois, on peut difficilement parler de modernisation des paiements et de tous les sujets abordés jusqu’ici sans parler de fraude et de sécurité. On dit que les méthodes de paiement très innovantes sont plus rapides, mais en même temps, les techniques de fraude sont aussi plus rapides et innovantes, même que parfois elles sont en avance sur les solutions que nous utilisons. Quel est votre avis à ce sujet? Quelle est l’incidence de la fraude dans un contexte où les paiements passent de plus en plus par la voie électronique et où l’innovation abonde?

Brad Pragnell :
La fraude est un sujet d’actualité très important. Dans le secteur des paiements, la plupart d’entre nous ont constaté, avec la crise de la COVID-19, une légère hausse des fraudes visant la population en confinement et des arnaques et autres méfaits reposant sur la technologie. En ce qui concerne les systèmes de paiements en temps réel, je pense qu’il faut quelque peu revoir nos méthodes habituelles de lutte contre la fraude. Les acteurs de l’industrie, collectivement et individuellement, ont accompli un travail incroyable au fil des ans et des décennies pour gérer la fraude. La situation actuelle implique seulement de repenser un peu certains paradigmes sur lesquels nous nous appuyons. 

Brad Pragnell :
Nous n’avons pas le luxe de suspendre une transaction en cours pour faire une enquête. Ce travail est donc déplacé vers les extrémités du processus de transaction. Avant qu’un participant émette ou envoie un paiement dans le système, il devra avoir fait toutes les vérifications qui s’imposent. Certaines responsabilités sont donc transférées de part et d’autre du processus, mais rappelons qu’il est tout de même possible d’intervenir au milieu.

Brad Pragnell :
C’est seulement une question de réfléchir à la reconfiguration de certains paradigmes et méthodes exemplaires que nous avons appliqués au cours des années pour gérer les fraudes, notamment celles touchant la chambre de compensation automatisée ou les cartes de crédit, afin de définir la façon de les appliquer aux paiements en temps réel. C’est un défi pour l’ensemble de l’industrie, mais je crois que nous avons montré depuis très longtemps que nous sommes plus que prêts à le relever.

Cyrielle Chiron :
Oui, tout à fait. Lance, avez-vous une observation à faire en ce qui concerne l’infrastructure technologique?

Lance Homer :
C’est une très bonne question. J’ai bien aimé ce que Brad a dit sur le fait de repousser les responsabilités vers les extrémités du processus. Cela implique certainement de se doter d’une infrastructure où l’on peut examiner les données en temps réel, car on n’a pas le luxe d’utiliser des processus par lots pour se donner le temps d’enquêter. Il est donc nécessaire d’examiner de grandes quantités de données, en s’appuyant sur des réseaux et une infrastructure qui peuvent les traiter en temps réel. La bonne nouvelle, c’est que les paiements en temps réel sont considérés en général comme assez sécuritaires, car ils reposent sur le pilotage par crédit et non par débit. Pas besoin de communiquer les renseignements sur le paiement ou le compte-chèques à une entreprise qui retirera les fonds de votre compte.

Lance Homer :
Pour le consommateur, les risques associés aux données – par exemple le piratage des données d’un détaillant – sont réduits au minimum. Il n’y aura pas de renseignements sur son paiement à voler. Mais malheureusement, comme vous l’avez mentionné Cyri, on peut toujours mettre un cadenas sur la porte, les voleurs trouveront le moyen d’entrer par la fenêtre. Ils essaieront d’autres vecteurs d’attaque. Brad a évoqué certaines escroqueries qu’on voit dans le contexte de la COVID-19, qui visent les gens confinés à la maison. L’hameçonnage est en hausse. Des gens se font passer pour des représentants d’un service public et tentent de rediriger vos paiements de facture d’électricité vers un compte frauduleux. Mais dans l’ensemble, Cyri, j’ai confiance que les banques et les [inaudible 00:20:43] pour les paiements en temps réel seront capables de réduire les fraudes pour éviter qu’elles ne minent l’intégrité du système global.

Cyrielle Chiron :
J’aimerais revenir à ce que vous disiez sur le pilotage par crédit et par débit, et le fait qu’on n’a pas à toujours donner ses renseignements, comme une demande de paiement, entre autres. Je crois que nos auditeurs gagneraient à ce que vous expliquez en quoi il y a ici une possibilité de réduire la fraude.

Brad Pragnell :
Oui, tout à fait, je crois que Lance en a parlé. Le fait que ces systèmes reposent sur le pilotage par crédit plutôt que par débit implique que les renseignements n’ont pas à être conservés, par exemple, par le commerçant. Avec les systèmes en temps réel, on tente de créer des expériences sans heurts qui se rapprochent des transactions par débit, où le consommateur n’a pas nécessairement à confier des renseignements importants au commerçant. Une demande de paiement constitue en effet un moyen pour le marchand d’envoyer, par l’entremise de son institution financière qui participe à un système, une requête que je recevrai. Ensuite, comme consommateur, je l’accepte ou la refuse. Si j’accepte, un transfert de crédit est alors renvoyé.

Brad Pragnell :
On voit aussi des développements basés là-dessus. Par exemple, ici en Australie, les responsables de la nouvelle plateforme de paiements ont annoncé la mise en place d’un service de paiements autorisés. Dans les faits, il s’agit d’un répertoire centralisé de consentements. Ainsi, le consommateur pourra donner des consentements par lesquels il autorisera des paiements récurrents qui passeront dans le système en temps réel. Ce type de système donne donc lieu à des innovations très intéressantes, qui en bonne partie proposent des solutions pour des utilisations comme les paiements récurrents ou les paiements de factures tout en évitant les problèmes liés à la communication de renseignements personnels au marchand ou à l’entité émettrice de la facture. Le fait de donner aux gens un meilleur contrôle et un service efficace et plus sûr est un aspect très important.

Cyrielle Chiron :
Oui, exactement. J’aimerais que l’on se penche de nouveau sur tous ces autres acteurs dans l’industrie. Lance, vous parliez d’un grand écosystème et des liens entre tous ses intervenants. Je voudrais discuter des nouveaux venus dans l’industrie des paiements, car on voit beaucoup d’innovations et beaucoup d’acteurs proposant des offres variées. Quels rôles ces nouvelles figures jouent-elles dans le secteur? Je pense ici aux entreprises de technologies de paiement et aux fournisseurs; quel est leur rôle et leur influence dans l’écosystème des paiements, où l’on observe une évolution marquée de la demande, que ce soit en ce qui concerne la COVID-19 ou en général?

Lance Homer :
Les nouveaux venus alimentent l’innovation, tout à fait. Et c’est une bonne chose. Donc, plus il y en aura, plus il y aura d’innovations sur le marché, et celles-ci viendront autant de ces nouveaux acteurs que de ceux déjà présents. L’écosystème des paiements comprend plusieurs sous-écosystèmes, par exemple celui du crédit et du débit, qui gravite autour de Visa et de Mastercard. La chambre de compensation automatisée et le traitement par télésaisie (ACHRDP) forment aussi un écosystème, dont les exploitants des systèmes de paiements – qu’ils soient d’envergure nationale comme Paiements Canada, ou mondiale comme Switch – occupent le centre. Ces entités n’ont jamais eu à affronter une concurrence très féroce dans leurs domaines, et elles ont tardé à innover. Les entreprises qui font le lien avec ces exploitants centraux, ce sont les banques. Encore ici, pas beaucoup de concurrence sur le marché, ce qui a freiné l’innovation. Et gravitant autour des banques, se trouvent de très gros fournisseurs de services, véritables mammouths qui eux aussi traînent de la patte en matière d’innovation.

Lance Homer :
Puis tout à coup arrive l’infonuagique, qui élimine les barrières à l’entrée de nouveaux acteurs. Il peut simplement s’agir de deux ou trois personnes travaillant dans le développement et l’exploitation qui créent une application venant alimenter l’innovation sur les marchés et concurrencer les mammouths. Ceux-ci voient arriver la licorne et se réveillent, et deviennent alors plus innovants. Ensemble, les mammouths et les entreprises de technologie financière génèrent de la concurrence pour les banques en créant des banques virtuelles ou des services bancaires à la demande – qu’il s’agisse d’émission ou d’acquisition – intégrés aux entreprises. Et en plus de la concurrence de ces nouveaux venus, il y a les services bancaires ouverts qui viennent bouleverser les systèmes tels que nous les connaissons.

Lance Homer :
Il se crée ainsi de la concurrence sur le marché, venant d’entreprises comme Plaid, que Visa a achetée. Alors, Visa, Mastercard, SWIFT et Paiements Canada font face à des compétiteurs qui ne sont pas des systèmes avec marchés centralisés. Tout pays qui veut générer des innovations a donc avantage à élargir l’accès aux nouveaux acteurs, car cela alimente les avancées et la concurrence sur le marché.

Cyrielle Chiron :
Oui, en effet. Brad, selon vous, quels sont les obstacles à la concrétisation des possibilités, que ce soit pour les nouveaux venus, les institutions établies, les organismes de réglementation ou tout autre acteur? Voyez-vous des choses qui pourraient entraver l’évolution dans ce contexte?

Brad Pragnell :
J’ai participé à quelques déploiements de systèmes en temps réel, et cela implique de réapprendre ce que nous croyons savoir. Ce constat vaut pour les banques, les entreprises de technologie financière, les fournisseurs de services de paiement, les organismes de réglementation et les utilisateurs. On se rend compte aussi que ces nouveaux systèmes combinent des caractéristiques propres aux systèmes de cartes, et d’autres caractéristiques que l’on voit dans les transferts électroniques de fonds par chambre de compensation automatisée. Il s’agit d’une fusion, sans que le résultat soit une réplique de l’un ou l’autre. Le grand défi, c’est d’arriver à comprendre le nouveau paradigme; et un autre défi, c’est de concevoir que le système ne se résume pas à sa rapidité. Il faut prendre en compte d’autres aspects, comme la fiabilité, les données et l’ensemble des caractéristiques, sans oublier les façons d’en tirer parti. Ces systèmes sont capables de choses qui ne sont pas nécessairement possibles avec les autres. C’est vraiment là que réside le défi opérationnel pour tous ceux qui sont concernés.

Cyrielle Chiron :
Oui, voilà un bon point, car beaucoup de gens pourraient se demander si on a effectivement besoin de ce nouveau système de paiements alors que le système actuel fonctionne. Vous mentionnez qu’il est non seulement rapide, mais aussi plus sécuritaire et innovant, et propice à la concurrence. Ce sont de bons arguments. Vous dites qu’il faut nous préparer à revoir nos connaissances et à nous adapter. Nous avons aussi parlé des différentes méthodes de paiement offertes et des divers secteurs qui interviennent. À votre avis, Brad, y a-t-il des mesures que les consommateurs ou les entreprises, ou peut-être les organismes de réglementation doivent prendre maintenant pour tirer le maximum des nouvelles méthodes de paiement et des paiements en temps réel?

Brad Pragnell :
Une chose à considérer, en particulier pour les entreprises, est l’exploitation de la norme ISO 20022 et de ses nouvelles possibilités en matière de données. La composante « données » est très importante ici, mais ne peut vraiment fonctionner que si les entreprises travaillent avec leurs institutions financières pour concevoir un déploiement qui sera profitable à toutes les parties et entraînera des gains d’efficacité. Pour une entreprise, la participation aux discussions à ce chapitre est, selon moi, très importante. Là où les changements sont très intéressants, c’est lorsque les marchés verticaux ou les secteurs unissent leurs forces pour se pencher, par exemple, sur les normes utilisées relativement aux données. Cette approche peut aussi être mise à profit dans le cas des nouveaux systèmes en temps réel. La dimension des données compte donc pour beaucoup. Il s’agit en grande partie de collaborer avec votre secteur et votre institution financière pour tirer avantage de cette possibilité. C’est ce qui ressort plus que tout.

Cyrielle Chiron :
Oui, bien d’accord. Lance, auriez-vous quelque chose à mentionner sur le plan de l’infrastructure? Y a-t-il des mesures que les consommateurs, les entreprises ou quiconque pourraient prendre dès maintenant?

Lance Homer :
En ce qui concerne l’infrastructure, Brad a beaucoup évoqué la norme ISO 20022, qui concerne avant tout la dimension logicielle. Mais sans une infrastructure qui permet de tirer parti des données – ce dont Brad parlait – et de créer de la valeur, on ne peut pas exploiter au maximum le potentiel des paiements en temps réel. Brad a aussi mentionné la nouvelle plateforme de paiements de l’Australie, qui est le système en temps réel du pays, et la création d’un système de gestion des consentements; c’est là un exemple très pertinent. Pour les banques qui comptent fonctionner dans un environnement en temps réel, il importe notamment de penser à des moyens de protéger leurs clients contre la fraude et de leur donner un meilleur contrôle sur les autorisations d’accès à leurs instructions de paiement. Voilà ce qu’elles devraient faire dès maintenant, avant l’entrée en vigueur du système de paiements en temps réel.

Cyrielle Chiron :
Une dernière question maintenant. Disons que vous pouvez prédire l’avenir : quelle sera la prochaine tendance majeure dans l’évolution des paiements? Pensez-vous que la rapidité, la commodité et la sécurité resteront les trois priorités? Ou croyez-vous que d’autres critères, d’autres motivations viendront prendre leur place?

Brad Pragnell :
Je serais heureux de lancer le bal à ce sujet, Cyri. Ce qui se profile, selon moi, en ce qui concerne la commodité, c’est que la rapidité sera tenue pour acquise; on n’en parlera même plus dans quelques années. C’est un critère de base, et jusqu’à un certain point, on peut en dire autant de la sécurité. Personne ne voudra utiliser un système de paiements qui ne répondra pas aux critères de sécurité les plus rigoureux et qui ne pourra pas contrer la fraude et gérer les autres risques de manière adéquate pour les utilisateurs finaux. Ce qui est très prometteur, ce sont les aspects liés à la commodité ainsi que l’exploitation des fonctionnalités de ces nouveaux systèmes, grâce auxquelles on pourra évoluer dans un environnement de paiements intelligents et faire disparaître l’action de payer, qui ne deviendra qu’une étape dans un processus de transaction fluide.

Brad Pragnell :
C’est ce que veulent les consommateurs. On l’a vu avec le déploiement de plateformes comme Uber dans les dernières années. Les gens recherchent une expérience simple, sans heurts. Au fil des développements, nous arriverons à un moment où l’action de payer disparaîtra. Ce ne sera qu’un processus en arrière-plan. C’est là un aspect qui m’enthousiasme. Et que dire de l’intégration de fonctions comme la géolocalisation et la biométrie, notamment. Les possibilités sont très, très… Bien sûr, il faudra le consentement des utilisateurs. On voit donc des choses très intéressantes, qui créeront énormément de valeur pour les gens. Voilà ce que j’attends avec le plus d’impatience.

Cyrielle Chiron :
Oui, je suis d’accord. Je dis toujours que, dans l’expérience d’achat, c’est le fait de se procurer quelque chose qui me rend heureuse, non pas le fait de le payer. Si je peux me débarrasser complètement de cet aspect, cela n’enlèvera rien à mon expérience d’achat, même qu’elle sera meilleure. Et selon vous, Lance, quelle sera la prochaine tendance? Est-ce qu’on parlera toujours des mêmes trois critères actuels, soit la rapidité, la commodité et la sécurité, ou est-ce que ce sera autre chose?

Lance Homer :
C’est une excellente question. Mais avant d’y répondre, Cyri, j’aimerais vous remercier de m’avoir invité à ce balado. Brad, j’ai beaucoup aimé tous vos propos, bien que concernant ma réponse à cette question sur l’avenir, vous m’ayez en bonne partie tiré le tapis sous les pieds. Je suis complètement d’accord avec vous sur beaucoup d’aspects, alors je vous ferai part ici de ma vision des choses. Le transfert de fonds est en voie de devenir quelque chose de banal. Les outils pour le faire abondent, et le processus se simplifie. Les paiements seront assez rapides et dans quelques années, ils auront atteint une vitesse optimale. La sécurité sera une exigence de base. Impossible de fonctionner dans cet environnement sans assurer la sécurité. Il reste donc la commodité. Sur ce plan, j’aurais tendance à regarder du côté du commerce contextuel, bien que je sois parfaitement d’accord avec ce vous dites tous les deux. Brad, vous avez parlé de la géolocalisation et de la biométrie, qui se grefferont à la transaction afin de créer de la valeur pour le consommateur.

Lance Homer :
Pour moi, c’est là-dessus que les entreprises actuellement dans le secteur des paiements devraient se pencher : comment concrétiser cela? Parce qu’au bout du compte, il y a une limite à la valeur que l’on peut créer avec le transfert de fonds en soi et les transactions. Oui, les transactions numériques gagnent toujours en popularité, mais un jour, cette croissance cessera. Il s’agit donc de trouver d’autres moyens de créer de la valeur, et selon moi, ils résident dans le commerce contextuel.

Cyrielle Chiron :
Oui, bien d’accord. Pour ma part, j’ai bien hâte de voir comment cela se concrétisera à l’échelle internationale. Le marché intérieur est la première étape, mais comment pourrons-nous transférer des fonds entre pays, à grande vitesse? Comme vous, Brad, je vis dans deux pays. Je fais constamment des transferts d’argent, et je me demande s’il n’y aurait pas moyen de faciliter la chose.

Brad Pragnell :
Oui, en effet. Tous les jours, Cyri.

Cyrielle Chiron :
Oui, je sais.

Brad Pragnell :
La vie de rêve.

Cyrielle Chiron :
La vie de rêve, oui. Je vous remercie sincèrement tous les deux de vous être joints à cette discussion, qui a été des plus intéressantes. Merci de votre temps.

Lance Homer :
Tout à fait. Merci

Brad Pragnell :
Merci beaucoup, Cyri. Et merci, Lance. La discussion a été fort enrichissante.

Cyrielle Chiron :
Partout dans le monde, l’écosystème des paiements se transforme. Les méthodes plus rapides, pratiques et sûres ont la cote, une situation qui n’a fait que s’accentuer durant la pandémie de COVID-19. Devant des changements toujours plus rapides, comment l’industrie, qui met en place de nouveaux moyens de verser et de recevoir des paiements, répond-elle à la demande? Une fois de plus, j’aimerais remercier Brad Pragnell et Lance Homer, qui ont discuté avec nous de ce sujet captivant. Comme toujours, PayPod peut être téléchargé sur votre application de baladodiffusion préférée ou à paiements.ca. Vous pouvez aussi participer aux discussions en ligne en utilisant le mot-clic #paiementsmodernes. Revenez-nous lors du prochain épisode, où nous continuerons d’explorer les mutations du monde des paiements. Merci encore, et à la prochaine.

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